LE BALLON
par : Nathalie Martineau

 

ui n’a jamais pensé pouvoir s’envoler et planer comme un oiseau, pouvoir juger du haut des airs le spectacle grandiose qu’offre la terre, celle que nous foulons chaque jour, sans voir sa splendeur parce que nous la regardons de trop près? C’est cette idée des grandeurs qui, dans les années 1780, mènera les frères Montgolfier et plusieurs autres ambitieux à trouver un moyen de gagner le ciel et ses lumières encore inexplorées. Si le ballon fut le premier aérostat à pouvoir transporter l’homme un peu plus haut vers le bleu du ciel, peu de gens soupçonnent l’influence qu’il a pu avoir sur les découvertes qui révolutionnèrent la chimie moderne et ce que, même aujourd’hui, il pourrait apporter aux technologies de pointe. Il semblerait en effet que cet appareil, que l’on considère aujourd’hui comme une fantaisie d’artiste ou un sport d’amateur bien plus qu’à titre de moyen de transport ou d’un outil réel, puisse bien devenir le messager officiel de nos futures télécommunications…


Figure 1 : Les frères Joseph-Michel et Jacques-Étienne MONTGOLFIER.

 

Petit Historique

Le premier vol libre humain fut une ascension en ballon à partir des jardins de Muette, dans les Faubourgs de Paris, le 21 novembre 1783. Deux hommes prirent alors place dans ce qui fut la première montgolfière, du nom de ses deux concepteurs, les frères Joseph-Michel et Jacques-Étienne Montgolfier. C’est en observant qu’un sac de papier rempli de fumée au dessus d’un feu de bois s’élève dans l’air qu’ils ont pensé reproduire le phénomène sur une plus grande échelle et ainsi réussir à déplacer l’homme par la voie des airs. Aucun des deux ne se doutait alors que leur invention révolutionnerait à un point tel les écoles de pensées des scientifiques de l’époque.

Pour comprendre l’impact de l’invention, replaçons-nous dans le contexte scientifique et social de l’époque. Il faut savoir que les découvertes récentes et nébuleuses à propos de la nature des gaz sont mitigées, informelles et bien mal connues des scientifiques eux-mêmes. En fait, la célèbre théorie d’Aristote, qui classifiait l’ensemble des éléments qui composent la matière selon les quatre éléments terrestres, soit la terre, l’eau, l’air et le feu, était encore bien à la mode.

Figure 2: Première démonstration publique
du vol d'une montgolfière

Cette théorie en engendra deux autres, celle des alchimistes et la théorie phlogistique, qui furent sans doute les deux plus populaires de l’époque et la cause de plusieurs interminables débats. Les alchimistes suggéraient que la matière pouvait se transmuter en une autre matière et cherchaient désespérément la pierre philosophale, celle qui pourrait transformer le fer en or (élégant, n’est-ce pas ?). La théorie phlogistique, un peu plus subtile, avait comme ambition d’expliquer la nature du feu. Ils incorporèrent à la théorie aristotélicienne un cinquième élément, la terra pinguis, qui constituait l’ensemble des substances dégagées lors d’une combustion. On prétendait que les métaux étaient composés de cendres et de terre grasse ou phlogistos (inflammable), et que cette dernière était tout simplement libérée lors d’une combustion.

C’est lorsque Cavendish, suite au déclin de popularité des phlogistiques et peu après la découverte de l’oxygène par Priestley, prouve expérimentalement que l’eau n’est pas une substance simple ou un élément proprement dit mais bien une substance décomposable (et recomposable) et que Lavoisier a l’audace d’affirmer que l’eau est en fait composée d’hydrogène et d’oxygène que les conceptions aristotéliciennes tombent complètement au profit de ce qui seront les débuts de la classification périodique des éléments actuelle.

Si les balbutiements des sciences physiques et chimiques modernes furent précipités et litigieux au temps des frères Montgolfier, leur invention n’y est sans doute pas pour rien. On avait pu envisager que le ballon ne flottait pas par la légèreté de la fumée ou du terra pinguis, ni même par la légèreté de vapeurs dégagées par un feu mais bien par l’action et la densité de différents éléments gazeux libérés lors de la combustion, qui fut le phénomène central de la chimie de l’époque et l’élément déclencheur des recherches ayant menées à la découverte des éléments chimiques.

LE BALLON AUJOURD'HUI

Ainsi, le ballon s’est fait la fascination de son temps et un événement historique capital tant au niveau des sciences qu’au niveau de ce qui allait bientôt devenir une révolution complète des transports et des communications. À l’aube de l’an 2000, la montgolfière, même si elle semble tombée en désuétude depuis belle lurette, fascine encore. Des milliers de personnes s’adonnent encore au plaisir de pouvoir admirer, du sol ou des airs, le spectacle grandiose qu’elles offrent grâce aux riches couleurs dont nous les avons vêtues et aux systèmes de chauffage devenus sécuritaires et beaucoup plus accessibles aux amateurs. Elle est aussi devenue l’objet de défis et de sports variés, du tour du monde sans escale au loisir de chacun. Pourtant, la technologie, qui avait depuis longtemps délaissé l’instrument, semble lui retrouver un intérêt soudain, et ce projet bien particulier pourrait très bientôt être réalisé: un retour en force du ballon au beau milieu… de la stratosphère.

L’idée est surgie au milieu des années 80 alors qu’Alfred Wong, professeur de physique à l’université de Californie à Los Angeles, imagine envoyer un aspirateur géant dans la stratosphère afin d’y éliminer les molécules de chlore et ainsi protéger notre couche d’ozone. Ce concept pour le moins farfelu ne sera jamais concrétisé, mais c’est l’industrie des télécommunications qui a récupéré l’idée. L’an 2001 pourrait bien marquer les débuts de l’ère des plates-formes stratosphériques géostationnaires, qui décoreront dès très bientôt nos cieux d’immenses ballons.

Bien loin de venir colorer nos horizons, ces engins technologiques flotteront à plus de 20 km d’altitude, bien au dessus de nos têtes et des nuages, bien loin des turbulences et des inconstants changements atmosphériques. On parle ici de ballons géostationnaires ayant l’envergure d’un terrain de football, maintenus et stabilisés par un système d’hélices à énergie solaire et équipés d’une batterie d’équipements électroniques de pointe ainsi que d’instruments météorologiques et scientifiques de précision. En plus d’éventuellement permettre à des équipes de scientifiques d’explorer et d’apprendre de cette zone encore bien mal connue qu’est la stratosphère, leur fonction substantielle sera d’assurer les services de télévision numérique, de connections Internet, de vidéoconférence et autres communications présentement assumées par les satellites.

Mais pourquoi vouloir changer? Les satellites actuels fonctionnent à merveille et assurent une communication de qualité, qualité que les systèmes stratosphériques géostationnaire pourront sans problèmes égaler, mais sans plus. C’est que ces plates-formes offrent l’avantage d’être peu coûteuses et d’une simplicité plus qu’enviable (du moins en théorie). En effet, l’installation (à 36000 km d’altitude) des réseaux satellites est une opération dispendieuse qui nécessite entre autres le déploiement de fusées de lancement et demeurent hors de portée en cas de problème, puisque le cas échéant, l’envoi de navettes spécialisées pour le " dépannage orbital " est nécessaire.

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Figure 3 : Plate-forme stratosphérique géostationnaire

À seulement 21 km de nos têtes, les ballons, quant à eux, ne demandent qu’à être "laisser allés" comme par un enfant vers le ciel et peuvent sans encombre redescendre à tout moment, évitant du même coup les dangers qu’impliquent des manœuvres en orbite. Le réseau satellite Télédésic coûtera plus de 9 millions de dollars et les antennes du réseau de téléphonie cellulaire qui couvrent actuellement l’Amérique du Nord ont eu besoin de 15 ans et 50 millions de dollars pour parvenir à leur réalisation. Le coût total des installations de Sky Station International, le projet d’étude actuellement en phase préindustrielle concernant les plates-formes stratosphériques géostationnaires voisineront les 2,5 milliards de dollars. Il sera en mesure de desservir 80% de la population d’ici l’an 2002 avec une série d’aéronefs en suspension au-dessus des 250 plus grandes villes du monde. Sky Station international bénéficiera de délais de transmission plus courts que nos lointains satellites et conviendra parfaitement aux communications bidirectionnelles telles que la téléphonie, la navigation Internet, les vidéoconférences et bien d’autres, le tout accessible aux consommateurs pour quelques sous la minute seulement.

Enfin, l’intérêt est manifeste, mais les opinions sont partagées. Les opérateurs de satellites protestent, mais pour l’instant les autorités semblent les ignorer. Et même si le projet est au point, certains détails techniques inquiètent encore. On dit que tout ce qui monte redescend (du moins sous l’emprise du champ gravitationnel terrestre!), et la question est de savoir si le contrôle des plates-formes nous permettra de les maintenir dans les airs 24 heures sur 24. Elles seront à cet effet construites de plusieurs coquilles (afin d’assurer une relève advenant une rupture) et les risques d’explosion seront rendus négligeables en gonflant la structure du ballon à l’hélium plutôt qu’à l’hydrogène. Pour ce qui est des fuites, rien d’autre n’a été envisagé que des parachutes pour minimiser l’impact…Ces interrogations devront être étudiées avec soin, mais la perspective des plates-formes stratosphériques géostationnaires pourrait dans un proche avenir admettre la téléphonie dans les régions montagneuses ou à faible densité de population et permettre le développement accéléré des régions peu ou sous-développées en leur rendant accessibles des ressources sociales et éducatives précieuses.

... et que diraient les frères Montgolfier de leur invention s’ils voyaient leurs applications aujourd’hui ?

 

BIBLIOGRAPHIE

  • GONFLÉ !, Philippe Chartier, Québec Science, vol.37, numéro 5, février 1999
  • L’invention du ballon et la naissance de la chimie moderne, Arthur Scott, Pour la Science (éd. française de Scientific American), numéro 77, mars 1984

http://www.cegep-ste-foy.qc.ca/profs/rfoy
(1998-2009) La physique en ligne